Vulpes Nihil et la 5.2

(Un récit qui traîne sur mon PC depuis pas mal de temps pour cause de perfectibilité , mais comme je n'arrive pas à l'améliorer j'ai décidé de me rattraper sur la suite. Comme vous l'avez sans doute deviné, il s'agit du point de vue du Seigneur Nihil sur les évènements de la quête de classe du démoniste, auxquels il a plus ou moins participé (mais plutôt moins que plus )).




Prologue : Mon patron est un salaud





Il faisait toujours nuit dans la Vallée d’Ombrelune, région sinistrée dont le sol craquelé suintait d’une étrange lave verte, à croire qu’il s’agissait en réalité de pus, tandis que son ciel tourmenté faisait l’objet d’une activité météoritique particulièrement marquée, à moins peut-être qu’il ne s’agisse d’infernaux. Il était difficile d’être certain de quoi que ce soit à cette distance.

Pizlop soupira en s’éloignant de la balustrade. Alors que la vue d’une terre aussi corrompue le réjouissait habituellement, dans le cas d’Ombrelune il s’agissait même davantage de corruption saupoudrée d’un peu de terre, il n’en tirait aujourd’hui aucun réconfort. Trop d’évènements inquiétants s’étaient produits ces derniers temps pour qu’il en soit capable.

Environ une semaine auparavant, son maître avait en effet été convoqué par Kanrethad pour « assister à l’aboutissement des recherches du Conseil », chose que Vulpes Nihil semblait avoir attendu avec impatience. Ce dernier avait d’ailleurs immédiatement suspendu les recherches en cours pour se rendre au Temple Noir.

Là…le diablotin ne savait pas avec exactitude ce qui s’était produit. Kanrethad avait fait mander son disciple par un serviteur et lui-même s’était vu confier par son démoniste la tâche de préparer ses appartements, mais ensuite…celui-ci était revenu changé.

Pizlop jeta un regard à Vulpes, ou plutôt au Seigneur Nihil, comme il voulait qu’on l’appelle depuis qu’il s’était emparé de cette ville gilnéenne, pour voir si son état s’était amélioré. Ce fut une déception. Son maître était toujours avachi sur le banc en pierre qui se trouvait au milieu de la pièce, le seul mobilier qu’on y avait installé d’ailleurs.

Ses yeux qui brillaient d’ordinaire d’une lumière maléfique, instable et dont il se servait pour mettre ses interlocuteurs mal à l’aise n'émettaient plus qu'une faible lueur. Il est en mode « veille », s’était dit le petit démon la première fois qu’il les avait vus dans cet état. Et c’était véritablement la toute première fois. Le regard du maître était toujours très brillant, ou bien s’éteignait complètement lorsqu’il dormait. Cet état intermédiaire était particulièrement étrange mais, si c’avait été le seul changement, Pizlop ne s’en serait pas préoccupé outre mesure.

À titre d’essai, il tenta à nouveau d’adresser la parole à son sieur.


- Maître ? Ne trouvez-vous pas que le temps dehors est magnifique ?

Un silence. Puis :

- Magnifique, en effet.

- Toute cette pluie, ça nous change de Gilnéas pas vrai, maître ?

- …Sans le moindre doute, Fizble.


Pizlop sentit un frisson glacé lui traverser l’échine. Son maître avait beau  perdre un peu le sens des réalités de temps en temps, le voir approuver tout ce qu’un de ses serviteurs disait tel un vieillard sénile, tout en l’appelant par le nom d’un de ses collègues décédé depuis des mois, était particulièrement dérangeant. Le tout en demeurant de surcroît d’une immobilité de statue. Il n’avait pas bougé depuis son arrivée dans la pièce, des jours auparavant, pas même pour se nourrir ou se soulager.

Le diablotin s’éloigna à petits pas de l’étranger qu’était devenu Vulpes Nihil. Il n’aurait jamais cru que les discours grandiloquents, voire délirants, et même les occasionnelles séances de torture psychologique de son maître puissent lui manquer un jour. On ne se rendait décidément compte du train de vie confortable qu’on avait que lorsqu’on le perdait.

Le démon trottina vers le balcon et se remit à observer le paysage. Pizlop n’était pas un mauvais diablotin. Comme tous ceux de sa race, il passait la majeure partie de ses séjours dans le Néant Distordu à se faire martyriser par des spécimens plus grands et plus forts que lui. Pourtant, il n'avait jamais ressenti aucun besoin de se venger de sa vie misérable sur les espèces mortelles. Il profitait généralement de la durée de ses invocations pour apprécier le monde sur lequel il avait atterri et lorsqu’il devait obéir aux ordres de son maître, et bien ce n’était qu’un travail, pas vrai ? Il ne prenait même pas autant de plaisir qu’il aurait pu aux expériences affreuses effectuées par son maître, c’est dire !

Il jeta un regard par-dessus son épaule et soupira. Le maître était autrefois si créatif…Les étagères de sa base secrète débordaient de projets couchés sur papier, la plupart totalement déments mais peu importe, et sa maîtrise de la rhétorique aurait pu rendre jaloux un Nathrezim. Alors le voir réduit à l’état de légume par l’individu extrêmement dangereux, il fallait bien l’admettre, qu’était Kanrethad, incapable de bouger, de tenir une conversation ordinaire voire même, il en était convaincu, d’avoir des pensées qui auraient déplu au propriétaire des lieux, tout cela lui mettait les nerfs à vif.

Pizlop savait qu’il n’aurait pas dû s’inquiéter autant de la situation. Après tout, il avait assisté à nombre d’évènements bien plus monstrueux au cours de sa longue, très longue vie. Mais voir Vulpes et bon nombre de confrères, tous les membres du Conseil de la Sombre Moisson probablement, réduits à l’état de pantins par un des leurs -un humain !- était une expérience nouvelle.

Les démons supérieurs de la Légion Ardente savaient eux aussi transformer leurs sous-fifres en êtres sans cervelle. Ils étaient également bien trop malins pour le faire, sauf circonstance exceptionnelle. Après tout, des serviteurs capables de se battre et de réfléchir par eux-mêmes étaient infiniment plus utiles. En cela, l’attitude de Kanrethad semblait à première vue illogique.

Mais il n’était que trop facile pour un diablotin aussi expérimenté que lui de deviner le projet de Kanrethad. Et celui-ci ne se terminerait pas de manière heureuse, du moins pas pour eux.

Non, Pizlop et son maître étaient tous les deux coincés ici, sur ce temple en ruines d’un monde brisé, et tôt ou tard ils connaitraient une fin sans doute abominable.